J'ai ressenti le paradoxe d’une entrée sans intensité, une lecture intrigante mais tiède. Le premier tome d’Absolute Batman m’a vraiment laissé une impression paradoxale : j’en ressors curieux, presque enthousiaste quant au potentiel de ce nouvel univers, mais sans avoir jamais été pleinement saisi par la lecture elle-même. Le récit est « lisible », plaisant à certains égards, mais il lui manque ce souffle dramatique propre aux grandes premières entrées en matière. De mon expérience, les récits d'origine, même les œuvres plus faibles ceux qui sont vouées à l’essoufflement ou qui sont chaotiques dès le départ, partagent au moins une certaine intensité initiale qui emporte. Ici, l’architecture narrative semble plus posée que ionnée : la tension dramatique ne décolle jamais vraiment, et l’ensemble conserve une tonalité monotone, presque didactique.
La narration, portée par la voix d’un Alfred Pennyworth remanié, m’a instinctivement rappelé Batman: Year One, mais affaibli dans son exécution. Là où le regard de Jim Gordon dans le récit de Miller instaurait un contrepoint humain, honnête et pudique à la figure mythique de Batman, celui d’Alfred dans cette nouvelle mouture manque d’émotion autant que de subtilité. Ce nouvel Alfred, espion désabusé et cynique, observe Bruce avec une distance condescendante, qui tend moins à enrichir la figure du justicier qu’à l’amoindrir. S’il existe bien un sous-texte possible d’évolution — cet Alfred désillusionné, cynique, pourrait redécouvrir l’espérance à travers la figure naissante de Batman —, ce potentiel narratif ne produit pas encore de véritables étincelles. Ce premier volume ne montre que des braises tièdes, et donne davantage l’impression de contempler les restes d’un feu que les prémices d’un embrasement.
La violence à laquelle est confrontée Gotham dans ce tome se veut brutale, chaotique, mais demeure paradoxalement dénuée d’impact sensoriel. L’horreur est mentionnée, décrite, jamais vraiment mise en scène. On est informé de cette violence, sans la ressentir. Quant au Joker qui apparait à deux reprises, il fascine davantage par ce que le concept peut amener, un joker milliardaire, et tous les différents que cela devrait impliquer, que par ce qu’il est déjà. D'ailleurs, il intrigue surtout à sa première apparition parce qu'on se pose la question, sa dernière apparition en fin de tome m'a laissé très froid. C'est pourtant l'ennemi qui devrait avoir une véritable présence scénique, dramatique.
Paradoxalement, je suis plus intrigué encore par ce que pourrait devenir, les autres "ennemis" de Batman dans cette saga car c’est peut-être là que réside le vrai germe d’originalité du projet. Fonder l’univers de Batman non pas sur l’opposition mais sur une origine commune, partagée avec ses futurs "ennemis". L’idée d’un Bruce Wayne ayant grandi avec Oswald Cobblepot, Selina Kyle, Edward Nygma ou Waylon Jones constitue un terreau dramatique potentiellement très fertile. D'ailleurs, deviendront-ils vraiment des ennemis, ce serait presque cliché, et limites intéressant de les imaginer en futurs alliés, ou ensemble de personnages avec des motivations, buts communs, mais des méthodes différentes. Si le traitement reste encore superficiel dans ce tome d’ouverture, il esquisse la promesse d’un développement de Bruce Wayne comme personnage au-delà du masque, ce que peu d’œuvres ont réellement réussi à accomplir. On perçoit ici l’ambition de rendre à Bruce des attaches affectives complexes, enracinées, ambivalentes car pour moi, le personnage de Bruce Wayne et son rapport aux autres n'ont pas été si souvent traités de manière intéressante de manière variée et continue. Les relations intéressantes traités sur la longueur furent finalement assez limitées. D'un côté un certains type de relations, toujours les mêmes plus ou moins, la relation amoureuse avec Selina, ou celle de mentor avec les Robins, qui s'était tout de même finalement enrichie de sa paternité avec Damian Wayne, cette dernière décennie. De l'autre côté, on avait quelques récits comme l'origine de Double-Face, qui restaient finalement sans avenir et ne déaient pas ses arcs d'origine, alors que ça aurait pu créer une longue dynamique intéressante à terme. Là, on a l'impression qu'il sera impossible de ne pas avoir une dynamique relationnelle forcément suivie, et complexe, mais c'est théorique. Ce ne sont que des déductions car en réalité, on ne nous a jamais rien montré de vraiment intéressant. La seule relation d'enfance, mise en scène avec un potentiel émotionnel, reste là encore celle finalement traditionnelle, sa relation avec Selina, rien de nous sous les tropiques.
Enfin, visuellement, si les partis pris graphiques, notamment le design de Batman/Bruce, sont lisibles et identifiables, ils peinent à s’imposer avec force. L’univers proposé est clair dans ses intentions, mais la mise en scène manque d’amplitude. Les planches, sans être faibles, n’exploitent pas pleinement le potentiel de dynamisme et de tension propre à l’univers de Batman, notamment dans les moments censés être les plus marquants.
Ce premier tome ne m'a pas vraiment déçu mais ne m'a pas conquis pas non plus. Il suscite de l’intérêt sans provoquer d’émotion forte, et laisse l’impression d’une genèse plus cérébrale que viscérale. La construction de l’univers, l’ancrage dans une sociologie de l’enfance partagée, et la possibilité d’un regard nouveau sur Bruce Wayne sont autant de promesses solides mais encore suspendues. Il faudra donc juger les volumes suivants à l’aune de leur capacité à transformer cette matière potentielle en récit dramatique, à donner de la chair à ces relations, et à faire surgir le feu sous les cendres.