La balade des moins que rien
Il s'agit du premier tome réalisé en commun par les excellents Enki Bilal et Pierre Christin, et cette collaboration est d'emblée percutante. Le prologue est assez classique et mystérieux mais l'œuvre monte ensuite en puissance au fil des pages : plus on avance et plus on est happé par l'intrigue et la dimension fantastique qui permet aux auteurs d'aborder des questions politiques. Le dessin de Bilal prend alors une autre dimension, poétique et fantastique. On retiendra notamment la magnifique évolution des corps et surtout des visages des militaires, déés et transformés par les conséquences de leurs propres actes.
La croisière des oubliés est une œuvre bien inscrite dans son époque, celle des années 70 post-soixante-huitardes, celles du Larzac, des différents luttes sociales, de l'opposition au nucléaire. Les "oubliés", ce sont ici les habitants d'un petit village landais ignorés et méprisés par l'Etat, les acteurs économiques et les militaires. Les Landes décrites ici sont mitées par l'urbanisation touristique, enlaidies et polluées par les industries papetières, et leur sol est en partie confisqué par les militaires qui en font des zones interdites. Les villageois, entraînés dans une "croisière" provoquée par des expériences militaires, ne demandent qu'à être respectés et vivre paisiblement dans un cadre préservé. Et le propos n'est pas du tout caricatural : les villageois comme les militaires ne sont pas présentés de façon monolithique, il y a parmi eux des divergences voire de réels désaccords, comme on le voit par exemple avec l'adt au maire, défenseur des apports bénéfiques de l'armée pour la commune.
Bref, même s'il s'agit là d'une critique forte contre les militaires, les media, et les promoteurs, la fable prend le dessus, l'humour est très présent et on se noie avec délice dans les magnifiques dessins de Bilal.