Eternels abonnés des sélections cannoises et membres du groupe très select des doubles palmés d’or, les frères Dardenne ont fini par provoquer une véritable crispation, particulièrement sur leurs derniers films qui, loin d’être convaincants, déroulaient le sempiternel programme social et misérabiliste.
Les voir revenir avec Jeunes mères semble dans la continuité de leur cinéma, puisque le film s’intéresse aux résidences d’une maison maternelle, centre social dédié à l’encadrement de jeunes filles mères célibataires et en situation de précarité.
La première innovation consiste dans l’écriture chorale du film : alors que les réalisateurs ont pris pour habitude de se focaliser sur un personnage pour le suivre en permanence et investir son chemin de croix, ils papillonnent désormais d’une histoire à l’autre. L’occasion d’un tableau exhaustif des situations, d’une variété de problématiques et de tempéraments des protagonistes. Cela ménage surtout la possibilité d’un éventail plus large de tonalités et de traitement des destinées, puisqu’il s’agit aussi de montrer les bénéfices d’une telle structure et la façon dont certaines d’entre elles peuvent s’en sortir.
La force du film réside dans cette exploration complexe de la maternité pour des femmes qui n’ont pas désiré l’enfant et doutent très clairement de pouvoir le garder. Les plus belles scènes se construisent sur les gestes, et l’apprentissage, par les éducatrices, des soins à apporter à l’enfant, de la responsabilisation des mères et la lente construction d’un . Ce geste dénué de parole structure le film : dans l’ouverture, c’est un massage qui permet à une résidente d’en calmer une autre en lui faisant prendre conscience de chaque partie de son corps. Au cœur du film, c’est la question de la prise dans les bras, et des révélations qu’elle est censée ou non générer. Et dans l’une des plus belles scènes, c’est le soin avec lequel une adolescente écrit et plie une lettre qu’elle adresse à sa fille.
Ce traitement constructif du silence ne suffit cependant pas aux frères Dardenne, qui poursuivent la dramaturgie plus classique de leur cinéma par des séquences dialoguées qui vont considérablement affaiblir le film. La visée documentaire les oblige à intégrer dans les répliques l’exposition des faits, dans une écriture scolaire et lourde, du type « Je t’ai embauchée quand tu sortais de l’orphelinat, parce que j’avais pitié, mais je regrette parce que tu as fait un enfant à mon fils pour qu’il puisse avoir des parents riches ». Dans le même registre, les Dardenne ont de plus en plus de mal à faire parler la jeunesse (un ado sortant de prison dit à une jeune mère « J’ai réfléchi et c’est mieux qu’on ne se voie plus ») et dynamitent de nombreuses scènes par cette écriture déconnectée du réel.
On oubliera probablement ces maladresses au profit des regards et des babillements des enfants, qui centralisent tous les enjeux de ce film, pour une fois, résolument tourné vers l’avenir.
(6.5/10)