Dans un film sensible, toujours juste et d’un réalisme accablant, Jeunes Mères, les frères Dardenne continuent d’explorer les ingratitudes des déterminismes sociaux tout en se rapprochant de plus en plus du cinéma vériste de Ken Loach.
À la maison maternelle de Liège, des adolescentes devenues mères précocement sont accueillies pour être aidées à élever leurs enfants ou pour prendre la décision de les confier à des familles d’accueil.
Certes, il est difficile d’être étonné désormais par le cinéma des frères Dardenne. Toujours le même équilibre recherché entre les sujets abordés et la manière sobre et minutieuse, sans excès et sincère de les filmer. L’ensemble fait système ou bloc dressé avec le réel. On est sans doute moins qu’avant dans des plans à caméra épaule ou des plans tendus, claustrophobiques. Les séquences deviennent concises tout en demeurant profondes, l’écriture parfaite (trop ?) sans surplomb au flanc des angoisses et tourments humains. Ce système Dardenne sans fard et sans variation est ce qui peut venir affaiblir ces Jeunes Mères. Peut-être attendrait-on un scénario moins achevé, quelque chose qui tout à coup vrille et bascule vraiment du côté de la dureté de ce qui est montré (comme dans Rosetta, leur film le plus sombre) ou s’égare, abandonne le bébé du style Dardenne. Ce n’est pas le cas. Faut-il pour autant se plaindre de la justesse d’une écriture, de son unité de mesure dans le traitement de la misère humaine ?
Veuves mères et femmes sages : l’/égalité du scénario
Jeunes mères livre les portraits de jeunes filles, déjà veuves en avenir, veuves en amours, affections ou joie de vivre. L’une est une ancienne alcoolique délaissée par son petit ami, l’autre une ancienne droguée toujours en risque de récidive, une autre au bord du délire psychotique du manque de mère, une dernière empêtrée dans des relations avec sa propre mère alcoolique. À l’intérieur de ce quatuor d’adolescentes toutes plus remarquables les unes que les autres (affublées de leurs bébés) se nouent les relations des assistantes de la maison maternelle, femmes tutrices, responsables et presque trop légales, trop normées ou normales dans l’écriture de leur personnage. Et c’est là peut-être que le film se fragilise. Cette maison maternelle vient réguler des comportements qui auraient dû tous à bien des égards déborder. Jeunes Mères ne nous accueille que sur le versant de la régulation du débord. Jamais d’écarts, de conflits peau à peau ou de gestes spontanés. Ces jeunes mères toutes en mal de mère et en galère de bébé ne sont presque jamais débordées. Ou si elles le sont, le traitement de leur personnage va être comme stérilisé ou arraisonné.
Les scènes que nous proposent les Dardenne sont plutôt celles de la contention ou de l’harmonie réparatrice : comme celle, assez splendide, où l’une des jeunes filles s’évanouit, prise d’un désir d’abandonner son enfant, et c’est une autre de ses comparses qui vient, avec les gestes d’usage, lui faire un massage, restaurer ainsi son lien au monde.
Émotion instruite.
Touchant et brillamment écrit, le film reste cependant à la lisière d’une émotion qui viendrait nous saisir sans avoir été construite.
L’émotion peut être d’une improvisation dans le jeu ou d’une échappée moins prévisible, burlesque, énigmatique, erratique. Bref, ces Jeunes Mères sont presque vieilles et manquent un peu de l’outrage débridé ou de l’outrance sanguine que la jeunesse devrait faire à leurs vies. Ces jeunes mères sont sages de leurs désastres et les frères Dardenne, trop soucieux d’équilibre et de limpidité.
Prix du scénario, Cannes 2025
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