Il en aura fallu du temps et surtout une promo pour que je m'y attaque, à ce "Memento". Et voilà que par un week end pluvieux, l'occasion se présente enfin.
Premier constat, le film joui d'une excellente ambiance, nerveuse, sombre et intrigante à la fois.
Les premières images du film vous plongent d'emblée dans un univers proche de la folie, qui m'ont rappelé un peu "L'échelle de Jacob" pour sa forte accentuation sur l'impersonnalité des lieux ou des personnages.
Tout se e dans un univers à la fois lisse et restreint, ce qui vous sape toute possibilité d'empathie ou de projection.
On veut le spectateur en retrait, et c'est efficace.
Mais Memento va beaucoup plus loin.
Là où l'échelle de Jacob plante une trame intrigante mais joue plus sur une ambiance suffocante, on assiste ici à un déballage de technique de mise en scène assez impressionnant.
La musique sobre, le jeu sur les teintes chromatiques de la pellicule (ocre, N&B...) ou encore le montage en séquences régressives et désordonnées jouent à fond la carte de la désorientation sensorielle.
Chaque séquence vous embarque dans une sorte de mini scénario qui pourrait se suffire à lui-même, et pose quelque fois plus de question qu'il n'en résout, tout en s'intercalant dans la trame principale qui suit l'air de rien son petit bonhomme de chemin... En partant de la fin.
Par ailleurs les séquences ne permettent pas de suivre une logique chronologique, ce qui brouille les cartes encore un peu plus.
Brillant.
Mais le plus beau tient sans doute dans le fait que la trame elle même se prête à ce jeu du chat et de la souris.
Lenny est en effet victime d'une agression et après un choc violent, souffre d'une perte de la mémoire à court terme. Il ne peut donc pas enregistrer ce qui se e après l'accident, et se voit obligé de tout noter pour ne pas l'oublier dans les prochaines cinq minutes: lieux, gens, ce qu'il fait et avec qui.
Par ailleurs son but dans la vie ne tient qu'en un seul objectif: venger sa femme assassinée durant ce même événement.
Pas gagné d'avance en somme.
Mais si Christopher Nolan a choisi à l'évidence un scénario simple, tout le génie du film tient dans l'imbrication des séquences et la désorientation générée.
La trame vous entraîne constamment vers des révélations improbables, rendues crédibles par la pathologie du héros ou par la roublardise des personnages secondaires, superbement interprétés au demeurant.
Cette désorientation prend une dimension vraiment épique avec le savoir-faire de Nolan en terme de montage ou de photographie dont j'ai parlé plus haut, car tout est soigné pour vous donner une ambiance mémorable.
Je ne peux donc que vivement vous conseiller ce film. Le suspens y est haletant, et le flegme de Lenny tranche littéralement avec la nervosité de la mise en scène, donnant un mélange des genre plutôt sympathique.
La fin suscite plus de questions qu'il n'y a de réponse. Rien n'est évident.
Nolan vous pousse donc quelque part à vous méfier des solutions toutes faites ou des réponses trop évidentes.
Une belle interrogation sur les relations humaines, quoi qu'il en soit, puisque si plusieurs personnages secondaires sont bassement calculateurs, tous ne le sont pas, et recherchent simplement des réponses.
En gros, les personnages ne sont pas régis par des motivations basiques, mais par toute une palette de besoins ou d'opportunités qui s'entremêlent jusqu'à un certain point.
Personnellement, j'ai toujours aimé cette approche pour l'immersion qu'elle propose au spectateur, car plus le personnage est complexe, plus cela permet de gagner en potentiel de réflexion ou d'émotions, et cela prouve que c'est une constante chez Nolan.
J'ai par ailleurs apprécier que le Réalisateur joue avec les stéréotypes sans pour autant sauter à pieds-ts dans les clichés: l'assurance diabolisée mais son enquêteur reste humain et abordable, le flic plus opportuniste que ripoux dans l'âme, ou la barmaid qui cherche là aussi un moyen d'échapper facilement à un petit ami oppressant.
Bien sur on peut facilement y opposer l'aspect très manichéen de la trame et des relations entre les personnages... Ou que le scénario peut être interprété différemment.
Mais on ne peut pas forcément se départir de tous les clichés ou d'une interprétation subjective, partant du simple fait que la trame doit être compréhensible et suffisamment distrayante pour que tout le monde y trouve son compte.
En tout cas je trouve plutôt intéressant que l'écriture permette ce genre de chose, en ouvrant la porte à plusieurs interprétations notamment.
L'ambiance ressentie reste donc à la fois atypique et poignante, et c'est ce qui me plait au plus au point.
A voir absolument.