Promis le ciel
6.2
Promis le ciel

Film de Erige Sehiri (2025)

Le chemin de la persévérance

Depuis La Belle et la Meute, le cinéma tunisien renforce sa présence sur la Croisette en témoignant d’un pays en perpétuelle mutation. Sans s’éloigner de cette ligne, Promis le ciel ouvre Un Certain Regard 2025 avec l’idée de capturer l’inquiétude et l’espoir de femmes originaires d’Afrique subsaharienne, en quête d’une seconde chance à Tunis. Le troisième long-métrage d’Erige Sehiri atténue la tonalité parfois didactique et le manque de tension de son récit par l’humanité sincère de ses personnages.


Chaleureusement accueilli par la critique et le public lors de la Quinzaine des cinéastes en 2021, le premier long-métrage d’Erige Sehiri, Sous les figues, offrait déjà une belle vitrine sur les contraintes sociales et les aspirations de jeunes femmes au cœur de la Tunisie rurale. Malgré un rythme contemplatif pouvant affaiblir son propos sur la société patriarcale, l’œuvre se distinguait par sa poésie discrète et sa sensibilité authentique. Le temps y était suspendu et la nature, vivante, cultivait les rêves et les désirs de ses personnages. Une fois encore, la cinéaste parvient – du moins par instants – à restituer cette aura singulière, qui illumine ses décors comme ses personnages féminins, indépendants et apparemment solidaires.


Mais dans la Tunisie actuelle, le bonheur semble éphémère. L’économie vacille, les inégalités persistent, et une part croissante de la population, notamment les marginaux de Tunis, se replie sur elle-même. La caméra à l’épaule d’Erige Sehiri s’attarde ici sur la vie d’une famille recomposée, captant le réel avec la même justesse que dans son documentaire La Voie normale. On y suit des cheminots en crise sur l’unique ligne ferroviaire aux normes internationales, laissée à l’abandon après la révolution tunisienne. Promis le ciel porte également les stigmates d’une transition nationale encore inachevée. Les migrants, contraints de bâtir leur propre refuge dans une solidarité de survie, en souffrent particulièrement.


Ancienne journaliste, Marie héberge sous son toit Naney, une mère perdue, Jolie, une étudiante pleine d’espoir, et Kenza, une enfant rescapée d’un naufrage. Leur logement, non déclaré, fait aussi office de paroisse chaque dimanche, lieu de prière et de réconfort pour la communauté subsaharienne. Chacun attend la solution ou un miracle à ses problèmes, mais tout le monde ne semble pas destiné à réussir. Telle est la réalité cruelle que le film nous donne à voir. À cela s’ajoute une répression policière persistante envers les migrants, entravant tout espoir de départ vers l’Europe. Le blocus istratif mis en place ravive d’autres tensions au sein du foyer, qui se fissure lentement.


La narration adopte rapidement une structure chorale, suivant les parcours des trois femmes. Cependant, leur développement dramatique reste inégal. Jolie, par exemple, incarne l’espoir de toute une famille mais également une jeunesse sacrifiée par ses aînés. Son arc narratif reste sous-exploité. Marie, quant à elle, reste opaque. Bien qu’elle ne semble pas croire pleinement en ce qu’elle prêche dans son église improvisée, sa proximité avec Kenza sonne parfois de façon artificielle. Pourtant, cette dernière, figure de l’innocence et de pureté, aurait pu être le cœur émotionnel du récit. Mais comme les autres, elle s’efface peu à peu derrière Naney, dont l’intranquillité incarne un sursis sans fin ni perspective.


C’est néanmoins sur cette mère courage que le spectateur peut compter pour insuffler un peu de légèreté et d’énergie dans un récit profondément chargé en tragédie. Impulsive, prête à se déer même au risque de trahir les siens, elle constitue la plus belle surprise du film. Celui-ci a toutefois tendance à s’éparpiller, multipliant les ébauches de situations dramatiques sans toujours leur donner l’ampleur nécessaire. Même lorsque la terreur et la vérité se confondent dans une scène au commissariat, le film peine à retrouver sa tension dramatique initiale et à justifier certains virages radicaux.


Des moments forts subsistent, fugaces mais intenses – une fête d’anniversaire, une sortie en boîte de nuit – sans toutefois parvenir à ancrer durablement leur empreinte dans une œuvre marquée par plusieurs essoufflements narratifs. Et ce, malgré tous les efforts d’Erige Sehiri pour insuffler authenticité et profondeur à cette histoire mêlant résilience et perte de l’innocence. On leur a promis le ciel, mais elles semblent pour l’heure piégées dans un enfer bien réel. Les paroles de la chanson de Delgres résonnent tout au long du film, auquel le titre rend hommage.


Prévu en salles à l’automne prochain, Promis le ciel offre à la sélection Un Certain Regard un portrait poignant de femmes confrontées à une société tunisienne politiquement et socialement défavorable envers elles. Avec une meilleure fluidité narrative et un développement plus équilibré de ses personnages, le film aurait sans doute pu exploiter tout son potentiel dramatique. En filigrane, on y perçoit une méthodologie dardennienne : un style épuré où les corps des actrices expriment la fatigue et les émotions plus que les dialogues. L’exécution, parfois trop théorique, n’en demeure pas moins digne d’intérêt. Il ne manque finalement pas grand-chose pour que Sehiri retrouve l’intensité de Sous les figues et peaufine son regard bienveillant sur la renaissance et la seconde chance.


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6
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le 15 mai 2025

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