Dungeon Master
8.1
Dungeon Master

Jeu de FTL Games (1987PC)

Découvrir Dungeon Master en 2025

Vous le savez, les labyrinthes, j’aime ça, j’adore ça, j’explore à peu près tous les genres qui s’y ont essayés, et cette année j’ai décidé d’aller logiquement vers ce qui est la matrice originelle de ces titres : le dungeon crawler. Mais pas n’importe quel dungeon crawler, celui que tous les autres ont copié par la suite. Car avant d’aller vers des jeux comme Eye of the Beholder ou Land of Lore, il me fallait faire Dungeon Master dont le statut culte revenait dans chaque article que je lisais sur le genre. Le titre s’est naturellement imposé comme une priorité et aujourd’hui j’aimerais raconter ce que c’est de plonger dans un tel jeu en 2025.


Car si découvrir des C-RPG des années 80 c’est déjà une expérience en soi, tant le genre était en pleine invention à l’époque, plonger dans un dungeon crawler fût encore plus nouveau pour moi qui n’avais jamais touché à ce style. Certes, j’ai fait Arx Fatalis et King’s Field qui, par définition, en sont aussi. Mais jamais je n’ai touché à ces jeux en case par case dans lesquels on doit gérer une équipe préalablement sélectionnée.


Donc pour moi, tout a été une expérience. Avant même de commencer le jeu d’ailleurs, puisqu’il m’a d’abord fallu imprimer et lire le manuel de soixante pages qu’il s’agit de ne pas négliger. Dungeon Master, époque oblige, ne contient aucun didacticiel. L’interface, la nature des statistiques, les mécaniques de combat et le système de sorts s’apprennent à la lecture.


Ensuite c’était parti.


Premier constat après avoir composé mon équipe de quatre personnages : j’ai compris que je trouverais ici la quintessence du jeu d’exploration. Si je devais décrire ce qu’ont été mes sessions de jeux, je raconterais qu’elles se sont faites pour l’essentiel avec du papier et un crayon. Dungeon Master est un jeu où explorer est le jeu. Il va nous faire arpenter un vaste donjon s’étalant sur 13 étages dont chacun d’eux devra méticuleusement être cartographié. C’est simple, si vous ne dessinez pas votre avancée, vous serez perdus au bout de quatre couloirs.


Il n’y pas de textures différentes, tous les murs se ressemblent, on est donc très vite perdu et il faut une concentration constante pour comprendre où on se trouve. Suite à mes premiers couacs pour définir une bonne méthode de cartographie, j’ai donc fini par opter pour du papier petits carreaux où chaque carreau colorié représente une case, ainsi qu’un légendage pour répertorier tout ce qu’il y avait de notable : portes, messages énigmatiques, réservoirs où se ressourcer en eau, torches, dalles, pièges, emplacement des clés, etc.


L’essentiel du jeu se tient donc là : dans la capacité du joueur à s’organiser en dehors du jeu. J’ai, pour ainsi dire, é plus de temps avec le jeu en pause à dessiner ma carte qu’avec le jeu actif. Et si le premier des défis est de ne pas se perdre, c’est une chose que l’on comprend à travers les deux premiers étages qui sont des sortes d’apprentissage des difficultés basiques.


C’est à partir de l’étage 3 qu’une nouveauté fait son entrée.


Ce dernier nous fait affronter des vers aux morsures empoisonnées, pour nous apprendre d’une part à concocter des potions anti-poison – ce qui est judicieux, puisque plus on lance un sort dans le jeu, plus on augmente les skills qui y sont liés (les elder scrolls n’ont finalement rien inventé) ; d’autres part à comprendre que certaines cases génèrent des ennemis. C’est plutôt déroutant au début. Vécu comme un piège, ces cases génératrices qu’on souhaite d’abord éviter apparaissent plus tard comme un moyen de farmer de la nourriture à foison - du moins pour les ennemis qui lâchent de la nourriture une fois tués bien sûr. Mais ce qui m’importe ce ne sont pas tant ces détails, c’est plutôt qu’à partir de l’étage 3, le jeu enclenche ce qui va être sa grande qualité : ses trouvailles mécaniques.


Désormais chaque étage va proposer un concept bien à lui, une sorte d’identité à laquelle il va falloir se faire pour progresser. Ce sera par exemple, à l’étage 5, un ensemble de pièces à énigmes avec des objets à réunir pour ouvrir la porte de sortie. Ce sera à l’étage 10, la rencontre d’élémentaires d’eau pouvant er sous les portes, nous privant de notre méthode de fuite.


Autre exemple. L’étage 7 a été l’un des plus éprouvant, puisqu’il décide soudainement de ne plus nous enfermer dans d’étroits couloirs, mais de nous lâcher dans un vaste hall où d’ingénieux systèmes permettent à des boules de feu de traverser la pièce vers notre position, le tout en étant harcelé par des fantômes et des gigglers – sales petits lutins qui s’approchent de nous pour voler notre stuff avant de s’enfuir.


Dungeon Master fait partie de ses vieux jeux qui parviennent à inventer beaucoup avec peu d’outils.


Pauvre visuellement, dénué de musique, incapable de générer une véritable ambiance, il se rattrape en renouvelant sans cesse ses mécaniques et en nous surprenant dès qu’il en a l’occasion. L’un de ses atouts par exemple ce sont ses pièges de désorientation. Des idées toutes bêtes qui nous mindfuckent l’esprit avec peu de choses. Sans prévenir, une case va soudainement nous changer de sens, ce qui n’est pas immédiatement détectable si on n’y prête pas attention. Une autre va nous téléporter ailleurs dans l’étage. Ou bien par exemple, un ensemble de cases vont nous bloquer dans une pièce virtuellement infinie de laquelle il faudra trouver à s’échapper.


Techniquement ce sont des choses très simples, mais le jeu étant basé sur l’exploration, ces idées viennent complètement perturber notre organisation.


Je repense notamment à cette pièce de l’étage 10 qui enfermait le joueur dans une pièce circulaire qui changeait d’aspect à chaque tour effectué. Techniquement, ce qu’elle faisait c’était nous téléporter dans une pièce presque similaire sans prévenir, en fonction des cases sur lesquelles on marchait et du sens par lesquelles on les abordait. Un truc tordu qui fait son effet, donnant l’impression d’avancer tranquillement et de voir soudainement les lieux changer, en mode : « tiens, yavait pas ça tout à l’heure », sans que rien ne nous avertisse. On croit devenir fou. C’est précisément ce que le jeu cherche à transmettre.


Dungeon Master n’est donc pas juste un donjon par ses ennemis et ses dédales, il parvient à être « le donjon qui rend fou les guerriers qui s’y aventurent ». Cette espèce de fantasme de rôlistes par sa capacité à placer le joueur dans des situations inconfortables.


Alors oui bien sûr, j’entends tout à fait que mon enthousiasme ne vous atteigne pas.

Je comprends que cette aventure puisse paraitre bien austère et vieillotte aujourd’hui. Pour être honnête, moi j’étais tellement excité à l’idée de faire ce jeu qu’à aucun moment son âge n’a été un frein. Reste que, quand même, objectivement parlant, pour un jeu de 1987 je l’ai trouvé vraiment immersif. Et c’est peut-être le dernier point que j’aimerais aborder.


À travers plusieurs aspects j’ai eu le sentiment d’avoir devant moi un proto-immersive sim.

Pouvoir attirer les ennemis vers les portes et les leur fermer dessus, entendre les créatures ramper dans des pièces contiguës et ainsi deviner des espaces cachés, se battre en temps réel avec tout ce que cela comporte de possibilités de fuite ou d’anticipation, ou bien encore pouvoir balancer des objets, y compris des coffres et s’en servir comme arme de jet. Dungeon Master a ses propres règles physiques, déjà tout à fait permissives pour l’époque, autorisant une forme d’expérimentation. Auquel vient s’ajouter ce système de magie à base d’incantations à entrer, invitant le joueur à tenter des choses - on compose les sorts comme on compose des phrases, en définissant chaque critère.


Tout cela rend le jeu très vivant et très immersif. Pas immersif graphiquement, ni artistiquement d’ailleurs, mais immersif parce qu’il nous oblige à nous impliquer à fond. Maîtriser ses systèmes, tenter des approches, se servir des lieux pour piéger les ennemis, r sans cesse, faire travailler notre sens de l’orientation, observer les lieux pour dénicher des boutons cachés, etc..

Au bout du compte, on oublie que le jeu a presque 40 ans tant ses mécaniques nous font ressentir, par notre propre implication, le sentiment d’être des aventuriers piégés dans un lieu malveillant et bourré de pièges.


Maintenant, je suis prêt à m’attaquer aux clones du Master


Curieux de voir ce que les autres jeux du genre feront de ce bagage. Comment ils feront évoluer la formule. La grande faiblesse de Dungeon Master est son manque de textures, ses murs gris pendant 13 étages empêchent quand même le jeu de peaufiner les identités dont je parlais plus tôt. Des musiques, des couleurs variées, des ennemis toujours plus inventifs, peut-être un poil plus de narrations, plus de mise en situation à travers des rencontres de personnages, c’est cela que les jeux suivants vont apporter j’imagine.

Très curieux de découvrir Bard’s Tale, Might and Magic, Black Crypt, Anvil of Dawn, et tous les autres.

Personnellement hypé par Ultima Underworld sur lequel Warren Spektor aurait poussé l’idée de donner au joueur des outils toujours plus organiques, même si désormais je comprends que Dungeon Master était un précurseur, et que le genre du dungeon crawler un parfait terrain d’expérimentations pour travailler ça.

J’ai très hâte de prolonger ma découverte, mais je n’oublierai jamais à quel point Dungeon Master était déjà abouti à sa sortie, en avance et très solide pour son âge, et que tout était déjà là.


Si jamais vous vous sentez le courage, plongez-vous aussi dans ses dédales


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