Pour le lecteur occidental, l'intérêt des traités de Zeami, illustre dramaturge et théoricien du théâtre nô, réside avant tout dans ce qu'il énonce sur le jeu d'acteur, le processus d'apprentissage de l'acteur, sur le point de vue du spectateur et la façon de le charmer, sur les éléments de la dramaturgie. Nombre de ses remarques peuvent intéresser un metteur en scène ou un réalisateur contemporain, certaines plus générales relèvent d'autres champs artistiques a priori plus éloignés du monde théâtral. Armen Godel privilégie ici - le titre le laissait hélas présager - les remarques de Zeami et de Zenchiku (son gendre et successeur) qui ont trait aux fondations ésotériques du nô. De la pseudo-philosophie taoïste et des courants obscurs du bouddhisme. Le nô est réputé être un monde hermétique, ce livre entretient le mythe. Le champ lexical abonde en superlatifs. La pensée y est ineffable, cosmogonique. "Le sens y est diffus à l'extrême, au-delà de ce qu'on peut imaginer. Aucun motif n'y apparaît soutenu d'un trait appuyé. Seul le vide se laisse englober. Des éléments visibles côtoient l'invisible. On y perçoit des sons, mais aucun écho ne les répercute. Le monde résonne encore de voix humaines, tandis que la montagne est vide. La solitude étreint le cœur, sans qu'on soit vraiment seul. On est placé comme sur un bord extrême." C'est poétique certes, mais le sens m'échappe - sans doute ne suis-je pas assez mystique.
Cet avertissement devait être donné. Nonobstant, le livre rassemble aussi trois nô précédés chacun d'une précieuse introduction - Les valérianes (Ominameshi) est de loin le meilleur. L'essai "Nature et sources du nô" est un exposé clair et presque indispensable pour comprendre ce qu'est le nô. On trouve aussi de très belles illustrations, photographies de masque et de représentations de nô, ainsi qu'un plan de l'espace scénique.