Parmi mes auteurs fétiches, DeLillo est sans doute celui que j’aime le plus relire. Les Noms, Bruit Blanc, L’homme qui tombe sont des livres auxquels je reviens sans cesse : je me sens chez moi dans la prose de DeLillo, dans ses dialogues faits de coqs à l’âne et de ruptures de communication, dans ses réflexions sur le langage, et ce qu’il a peut-être de transcendant malgré ses défaillances. Mais je n’avais encore jamais relu Underworld depuis ma première lecture il y a une douzaine d’années.
Underworld est (et restera sans doute, vu ses dernières publications) le plus gros roman de Don DeLillo, une somme qui couvre l’ensemble de la Guerre froide de 1951 à l’aube des années 90. En guise de fil rouge, un objet de rien : la balle de base-ball qui marqua la fin d’un match culte opposant les Dodgers aux Giants en 1951, un jour d’août où se produisit également une des premières grandes alertes atomiques de la Guerre Froide, et qui e de main en main au fil des décennies.
Underworld, c’est le grand roman du déchet, de l’angoisse de voir déborder tout ce que l’humanité produit de détritus et de restes ; c’est le récit de l’apparition de la vidéo dans les foyers et le gouffre métaphysique que cette duplication infinie du réel ouvre sous nos pieds ; c’est surtout le Triomphe de la mort, un écho moderne de ce tableau de Bruegel qui tombe par hasard entre les mains d’Edgar J. Hoover en ce jour de 1951. Des centaines de personnages qui se débattent et cherchent une issue face à l’angoisse de mort qui, en ces décennies de guerre froide, peut se résumer au spectre toujours plus pressant de la Bombe. Cette bombe qui, lorsqu’elle irradie, permet brièvement dit-on de voir son propre squelette dans la lumière : une Apocalypse sans révélation autre que celle de la finitude de nos propres corps.