Une traque américaine : Oussama Ben Laden par Proulx

Oussama Ben Laden, Une traque américaine

Série, 3 épisodes, Netflix, 2025

Daniel Sivan et Mor Loushy


Montage à la mitraillette de documents peu ou pas vus jusqu’ici. Prototype du documentaire pute, dramatisé à outrance, tellement à outrance que ça fonctionne ou peut fonctionner par son irrésistible force d’attraction. La musique incessante vient ajouter au rythme effréné des images. Tout ça, au fond, fait un style et c’est peut-être ce qui rend le doc plutôt able. L’excès de dramatisation, ou le dramaturgisme, transforme les dix années de traque en une opération chirurgicale quasi inédite.

On suit la traque depuis le 11-septembre 2001 jusqu’en 2011 où des images montrent la satisfaction des gens de la CIA puis l’immersion du corps de Ben Laden dans la mer d’Arabie. Les Américains ne l’ont pas enterré parce qu’ils craignaient que sa tombe ne devienne un lieu de culte. Le conseiller stratégique d’Obama, ou plutôt son nègre puisque c’est lui qui écrit ses discours, Ben Rhodes donc, commente cette immersion avec des mots assez surprenants. In extenso :

« Ce qui m’a marqué c’est que l’armée a fait un album photos du voyage du corps de Ben Laden. Ça commence quand il vient de se faire tirer dessus puis de retour à Jalalabad et enfin le visage nettoyé. Ce qui m’a le plus marqué, ce n’est pas la photo du visage de Ben Laden mort, mais le porte-avions [Navy vessel]. Son corps enveloppé d’un linceul blanc est descendu dans l’eau… et glisse sous l’eau [Rhodes accompagne ses mots d’un geste de la main]. Ça m’a énormément touché. Après tous ces événements mondiaux, ce… cet être humain est… juste… au milieu de l’océan dans un linceul blanc. »

Je suis très reconnaissant à Ben Rhodes de cette pointe de métaphysique, de son émotion à l’évidence sincère. Nous avons assisté jusqu’ici à un défilé d’acteurs-témoins-chasseurs-chasseresses tendus vers un seul but, tuer un homme. Certains, très peu, parlent de justice mais il est clair que presque tous sont animés par la vengeance. Ça donne parfois des hommes et des femmes proches de tueurs et tueuses assoiffés de sang. Je cite les noms de deux d’entre eux, Tracy Walder, une hystérique dont le visage a souvent des expressions d’une démente, et Gary Berntsen, un commandant de terrain dont la gueule ressemble à celle d’un rottweiler – et tellement sûr de lui, tellement fier d’être impitoyable ! D’autres font leur boulot sans état d’âme, comme le directeur de la CIA, Leon Panetta, qui mènera l’opération Jawbreaker (c’est son nom de code) jusqu’à son terme, ce qui lui vaudra les chaleureux remerciements d’Obama.

Je reviens à Ben Rhodes. Il n’appuie son émotion par aucun effet, aucun ton dramatique, il reste neutre et ce qu’il dit est d’autant plus touchant – surtout dans un documentaire aussi outrageusement dramatisé. Il dit que l’image du porte-avions funéraire (longueur plus de 300 m, coût 1 milliard de dollars, c’est moi qui précise) l’a fortement marqué. Je me risque à lui tenir compagnie : cette image de vaisseau énorme, redoutable qui fend l’eau est celle de la puissance américaine. Elle a pendant dix ans traqué ce qu’elle considérait comme son pire ennemi sans jamais réussir à le capturer, un seul homme face à une puissance dont on n’a jamais vu l’équivalent sur la planète. Et enfin, victoire, voilà cet homme tué au terme d’une opération commando complexe et risquée. Le meurtrier, aussi satisfait et aussi puissant qu’il se prétende ne l’est pas pourtant pas assez pour l’exempter de se sentir tenu de prouver une nouvelle fois sa satisfaction et sa puissance en affrétant un énorme vaisseau de guerre pour servir à transporter le cadavre d’un seul homme jusqu’au lieu où le corps doit disparaître à jamais. La Puissance veut anéantir un homme sans même lui accorder une sépulture réelle, palpable, visitable. Par les moyens considérables qu’elle déploie dans ce but, la Puissance US avoue paradoxalement que c’est mission presque impossible. Quoi qu’elle ait dit jusque-là, elle déclare par un acte spectaculaire mais dérisoire (faire disparaître un homme corps et âme) que l’homme, c’est-à-dire l’idée de l’homme, est indestructible — l’homme est en quelque sorte irréductible à la mort. Ça reste à prouver mais en elle-même cette idée est émouvante et je veux croire que c’est ce qui a ému Ben Rhodes.



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