Intelligence intrapersonnelle

Suite à l'immérité insuccès public de Romance, en tout cas en , Catherine Breillat se voit quasiment repartir à zéro. L'idée originale de son prochain film, elle la puise dans un lointain souvenir, lorsqu'elle fut hébergée dans un hôtel à Taormina pour y présenter Sale Comme Un Ange. Dans la piscine de l'établissement, elle y aperçoit une jolie adolescente italienne de 12 ou 13 ans faisant des longueurs en parlant toute seule. En sortant de l'eau, la réalisatrice s'aperçoit que la jeune fille est obèse et qu'elle se recouvre de crème solaire en chantonnant Tous Les Garçons Et Les Filles de Françoise Hardy. Un personnage est né, la cinéaste le prénommera Anaïs et lui inventera une sœur aînée littéralement splendide et attirant indéniablement les garçons. Catherine Breillat souhaite lier ces deux sœurs à un fait divers découvert dans les journaux où un homme a agressé une mère de famille et ses deux filles adolescentes sur une aire d'autoroute. Il avait quasiment décapité la sœur aînée avec une hache, étranglé la mère et laissé vivre la plus jeune en faveur d'une fellation. Un sujet dur, voire carrément hardcore, qui motive la cinéaste à créer l'un de ses plus beaux récits.

Anaïs a 12 ans et porte le poids du monde sur ses frêles épaules. Son corps, qu'elle martyrise en le nourrissant inlassablement est à la fois la citadelle de sa douleur et une indestructible forteresse. Lors d'un séjour familial en Charente-Maritime, au bord de l'océan Atlantique, Anaïs va vivre l'apprentissage de l'amour par procuration. Elle observe sa sœur aînée, Elena, physiquement sublime du haut de ses 15 ans, vivre ses premiers émois sexuels. Entre amour et haine, la relation des deux sœurs va se métamorphoser en totale incompréhension…

Avec À Ma Sœur !, Catherine Breillat renoue tout simplement avec la pureté initiale d'Une Vraie Jeune Fille, son tout premier film qui s'est vu privé de distribution durant 25 ans. Septième long-métrage de la réalisatrice, l'œuvre narrant l'été de ces deux sœurettes très différentes reste néanmoins beaucoup plus maitrisée et conte l'observation d'une très jeune adolescente envers ses proches tout en faisant face à une triste solitude. En ce sens, Catherine Breillat reste certainement l'artiste la plus habile en pour mette en valeur ce type de narration ultra réaliste. Quant à Anaïs Reboux et Roxane Mesquida, elles sont simplement parfaites malgré leur évident manque d'expérience en matière de jeu. Si la première a malheureusement disparu de la circulation cinématographique suite à un TV film tourné la même année, la seconde réalise depuis une prestigieuse carrière, en majorité au sein du circuit indépendant, en tournant tout autant pour Gregg Araki que pour Quentin Dupieux, ou encore Alexandra Cassavetes et Sophie Lévy.

En se penchant sur l'histoire de ces deux sœurs vivant jusqu'ici entre elles, presque exclusivement, et qui vont être très violemment confrontées à une rencontre sentimentale opérée par la sœur aînée durant les vacances d'été, Catherine Breillat analyse intelligemment toutes les différences entre la "belle" (Roxane Mesquida) et la "bête" (Anaïs Reboux). Dans un décor quasi apocalyptique naturellement causé par la violente tempête de 1999, la cinéaste montre combien la "belle" se voit dévorée par le monde sociétal, attiré par la magnificence physique de l'adolescente, tandis que la "bête", malgré ses petits problèmes de boulimie en se confrontant à sa solitude, s'en sort nettement mieux face à ses pensées pour vaincre le monde qui l'entoure. Et en interprétant des chansons rédigées par la réalisatrice lorsque cette dernière était adolescente, la jeune Anaïs accepte consciemment sa propre personne tandis qu'Elena reste éternellement dans une forme de paraître la rendant tout autant manipulable que souffreteuse.

Finalement, l'univers d'À Ma Sœur ! s'analyse d'une manière totalement contraire face à ce que la société actuelle, celle du paraître et de l'image, largement cautionnés par la bêtise crasseuse des réseaux sociaux, tente de nous emmitonner pour toujours mieux nous éloigner de nous-mêmes. En ce sens, le personnage qu'incarne Roxane Mesquida a quelques années d'avance tandis que sa petite sœur semble bien plus paumée face à ses problèmes. La fin du métrage nous prouvera impitoyablement le contraire.

Mille mercis, madame Breillat 🧡

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il y a 5 jours

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candygirl_

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D'autres avis sur À ma sœur !

Critique de À ma sœur ! par AMCHI

Encore une nullité de Catherine Breillat, certes il faut reconnaître que les jeunes comédiennes s'en sortent plutôt bien mais le scénario frise souvent le ridicule, le comble en étant la fin.

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